Recyclage médicamenteux.

Publié le par seven

La première partie du billet ressemble à un cours de santé publique. Vous avez le droit de la lire en diagonale (je ne peux pas vous surveiller de toutes façons...). Elle  permet néanmoins de mieux comprendre la deuxième. Alors c'est vous qui voyez. Y'en a qu'on essayé. Ils ont eu des problèmes... L’important est la question finale.

Petit prérequis, donc. Le coût des recherches préalables à la commercialisation d’une nouvelle molécule est considérables entre  300 et 450 millions d’euros !!! (1/3 pour la recherche, 2/3 pour le développement). Une fois la candidate identifiée le laboratoire dépose une demande de brevet, qui lui assure donc les bénéfices éventuels résultant des travaux pour une durée de 20 ans. Plusieurs approches sont possibles : le screening (10 000 molécules testées pour 1 retenue) ou la modélisation (5 000 pour 1). Ensuite, des tests sont réalisés. In vitro, in vivo chez l’animal, et enfin que chez l’homme. Trois phases sont alors nécessaires :

-Phase I chez le volontaire sain,

-Phase II chez le volontaire patient,

-Phase III comparant la molécule à un placebo en double aveugle (patients et prescripteurs ignorant quelle molécule est administrée).

Enfin, si elle a franchi victorieusement toutes ces étapes, notre petite moléculounette obtiendra enfin son Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Vous l’aurez compris,  des lustres se sont écoulés (c’est bizarre comme expression « écouler des lustres ». Ca se dit, d’ailleurs ?) depuis la demande de brevet. Le temps dont dispose le laboratoire pour rentabiliser ses investissements est donc limité.  La molécule tombe ensuite dans le domaine public, ouvrant la voie aux génériques. Sans oublier qu’en moyenne, les trois quarts des candidats seront écartés avant la fin du processus (efficacité insuffisante, tolérance médiocre...).

Il est possible d’obtenir une rallonge de 5 ans de l’exclusivité, si le développement a été long. Les études démontrant l’efficacité d’une molécule connue dans une nouvelle indication permettent de prolonger l’exclusivité pendant 1 an seulement.

Ceci explique pourquoi les laboratoires pharmaceutiques s’échinent à mettre au point de nouvelles substances : vendre des médicaments sans concurrence. Oui, certes, c’est aussi par philanthropie. Et la petite marmotte, elle referme le papier alu (ce lien est une petite blague, d’accord ?) …

Vif du sujet. Le problème est le suivant la recherche fondamentale, hors laboratoire pharmaceutique, peut identifier de nouvelles cibles potentielles de traitement d’une pathologie donnée. Jusque là, c’est plutôt bien me direz-vous. Oui, mais ça se corse après : si la cible en question est en fait parfaitement accessible à l’aide d’un vieux médicament, tombé dans le domaine public.

Pourquoi ? Z’aviez qu’à lire la première partie. Na. Mais t’avais dit que ?!… D’accord, je synthétise : c’est bien parce que c’est vous. Pour être prescrite dans une nouvelle indication, la molécule doit subir à nouveau au moins les phases II et III de développement. Et ça coûte TRES cher.

Or quel laboratoire à intérêt à investir dans ce genre d’étude, alors qu’il n’aura pas l’exclusivité, ou au mieux pendant un an ? Aucun, a priori…

Illustration. Le bumétanide est un diurétique (fait faire pipi) pas neuf, agissant sur le canal chlore. Des travaux in vitro et chez l’animal ont montré qu’il pouvait avoir une action sur l’excitabilité neuronale en modulant l’effet du GABA (ça faisait longtemps). Quelques papiers ont montré un intérêt possible dans des formes d’épilepsie néonatales. Mais aucune étude rigoureuse n’a été conduite pour répondre à la question. Attention, je n’ai pas dit que ce traitement était révolutionnaire, ou très certainement hyper efficace, hein ! Mais disons que des données expérimentales apportent des arguments suffisants pour aller plus loin dans les essais, mais que ceux-ci n’auront pas lieu faute de moyens. On sait-y quand on sait pas ? (c’est cauchois, ça, comme formule).

Donc si ça se trouve, on passe à côté de progrès thérapeutiques majeurs ou modestes, mais progrès quand même juste pour une histoire de gros sous.

Question : Comment faire pour intéresser les industriels ? Peut-être en appliquant des mesures similaires à celles concernant les médicaments orphelins (maladies affectant peu de patients, ou des patients « non solvables »)? C'est-à dire:

           1) accorder l’exclusivité dans cette indication pendant plusieurs années (ça complique la prescription : ordonnance spéciale ? enfin, faut en discuter),

            2) ou des crédit d’impôt sur les essais cliniques, inscription plus rapide pour l’AMM (1 à 2 ans en principe).

Ben voilà. C’était la réflexion du vendredi soir.

Publié dans Santé Publique

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T
Merci pour la petie blague ;) !Question : si je comprends bien, c'est donc à la compagnie pharmaceutique de financer les étapes II et III. Mais paie-t-elle des organismes indépendants pour les faire, ou les fait-elle directement (avec les probèmes "éthiques" que cela peut poser...) ?Sinon, ça m'a effectivement tout l'air d'un problème insoluble à moins de faire appel à la puissance publique ou à la charité...
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S
C'est la compagnie pharmaceutique qui finance, et réalise. Sachant que ces phases II et III se fait par l'intermédiaire des médecins prescripteurs, qui transmettent ensuite les résultats obtenus. Je pense que ça ne marche pas si mal en fait. C'est vraiment très contrôlé, y compris par des comités d'éthiques qui, eux sont indépendants. Et les médecins (quand même pour la grande majorité) sont honnêtes dans leur évaluation. Un médicament qui ne marcherait pas ou serait très mal toléré n'obtiendrait pas l'AMM. <br /> Pour le problème du "recyclage", je  pense en effet que c'est la puissance publique qui doit règlementer. Je ne navigue pas dans les hautes sphères, mais je n'ai pas l'impression que ce soit à l'ordre du moment. Pourtant, des chercheurs reconnus (j'en ai au moins un en tête) souhaiteraient une interaction plus étroite avec ces firmes. Mais je crois que ça nécessite un changement de point de vue, de mentalité...